Portraits Libanais

Zahi Wehbe : auteur, poète et journaliste renommé

Crédit photo: Céline Bou Rjeily de l’Académie libanaise des Beaux-Arts

Une enfance poétique !

Regard apaisant, visage modeste, la soixantaine… Zahi Wehbe nous accueille dans un café beyrouthin arboré et en bord de mer. Issu d’une famille modeste et de parents séparés quand il était encore enfant, il a été élevé par une mère dévouée qui lui a transmis sa détermination et sa volonté de défendre les femmes et leurs droits. Mais Zahi Wehbe ne se considère pas comme un auteur, un poète ou un journaliste : plutôt comme un humaniste libanais, voué à la défense des causes humaines, et ayant pour premiers amis « les hirondelles et les ruisseaux ».

Il parle de son enfance comme d’une période « belle mais difficile » : né dans une maison de « pierre et de terre cuite », il a vécu ses 5 premières années à Aynata, son village natal, avant de devoir fuir la guerre avec sa mère et se réfugier à Tair-Deba.

Pendant cette période, son instruction s’est faite à travers la lecture de quelques milliers de livres. A l’âge de 11 ans, il a commencé à lire des romans classiques comme Les Misérables de Victor Hugo et Madame Bovary de Flaubert. Il lisait régulièrement les journaux et les œuvres de grands écrivains arabes comme Mahmoud Darwish ou Ghada AL-Samman.  « Mes seules distractions étaient les promenades dans les champs et la lecture de mes livres » nous dit-il. Il a poursuivi ses études à la faculté de droit à l’Université libanaise à Beyrouth, et travaillé entre-temps dans la presse écrite et dans les stations de radio locales, se frayant un chemin vers son avenir.

Une génération menacée…

En sirotant sa tisane, Monsieur Wehbe nous fait part de ses inquiétudes concernant le futur de la jeune génération actuelle : « Après tout, je suis moi-même père de 2 enfants : Dali et Kanz. »

Il est préoccupé par les dernières études statistiques, qui annoncent que les étudiants libanais ne s’intéressent pas à leur langue maternelle. Pourtant, lui, très compétent en arabe, ne reproche pas aux jeunes leur désintéressement vis à vis de la langue arabe. Au contraire, il pointe du doigt une société libanaise qui semble abandonner cette langue pour en favoriser d’autres. Il remet alors en cause le gouvernement libanais (en particulier le Ministère de l’Éducation) qui n’élabore pas de bonnes stratégies éducatives permettant de promouvoir l’apprentissage de l’arabe par les nouvelles générations. « 0n ne doit jamais perdre notre langue maternelle, notre langue arabe ; elle fait partie de notre héritage, de notre patrimoine, et de notre identité, en tant que Libanais. Cependant, cela ne veut pas dire qu’on devrait s’empêcher d’apprendre d’autres langues. ». Après s’être rendu compte de l’importance des langues dans la vie des hommes et dans l’ouverture aux autres, il a fortement regretté de ne pas lui-même maîtriser plusieurs langues.

Il considère que pour bien écrire dans une langue, la lecture et la culture constituent deux facteurs essentiels : « les personnes instruites ne sont pas forcément cultivées ». D’après lui, il est déconseillé que les parents et les établissements scolaires forcent les enfants et les jeunes à la lecture parce que cela ne fait que les éloigner davantage de la littérature : « Forcer les jeunes à lire n’est pas une stratégie efficace, et cela se traduit par les statistiques dont nous venons de parler. »

Mais il pense aussi que la culture dépasse la lecture en termes d’apprentissage de la langue : « Si quelqu’un n’aime pas lire, on ne devrait pas lui imposer la lecture. On devrait l’encourager à visionner des films, des courts-métrages, écouter des podcasts, ou la radio, regarder la télé, ou utiliser n’importe quel autre moyen possible pour acquérir la culture qu’une langue peut donner, parce qu’apprendre une langue en se familiarisant avec sa culture dépasse largement son apprentissage par la lecture. »

Le père de famille attire également notre attention sur la technologie. Il est très concerné par les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. Il n’a procuré un téléphone à ses enfants qu’à l’âge de 12 ans et surveille régulièrement leurs activités en ligne. Il les encourage à ne pas abuser des moteurs d’intelligence artificielle comme ‘ChatGPT’ et ‘Bard’, qu’il considère comme des créations pouvant beaucoup aider les humains, mais ne pouvant pas atteindre le même niveau de perfection qu’eux : « La technologie, avec son développement rapide, peut avoir la force d’une bombe nucléaire ou même davantage… ». Il considère ainsi que l’intelligence artificielle ne pourra jamais remplacer l’homme : « Pourrait-elle ressentir les émotions, la peur, la joie, la tristesse, comme nous le faisons ? » nous a-t-il demandé.

Vide culturel, échec politique

Après avoir passé un appel téléphonique à sa femme, Rabiaa Al-Zayyat, il a orienté notre conversation sur la culture du Liban vers le thème de la politique.

Il considère que la crise politique au Liban est due au taux de corruption excessif de la classe politique libanaise. Pour notre interlocuteur, « un des plus grands problèmes de la classe politique libanaise est son manque de culture ». Monsieur Zahi est également un ex-partisan du parti communiste libanais. Il critique le confessionnalisme, en tant que catalyseur du sentiment de division religieuse entre les différentes confessions libanaises. Il fait appel à un système politique laïque, à une loi unifiée pour toutes les confessions, et au suffrage civil.

Selon lui, l’État libanais, représenté par sa classe politique gouvernante depuis plus de 40 ans, est entièrement responsable de la fuite des cerveaux, de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui met le futur du pays en péril. Cette situation d’émigration constante des jeunes le rend triste et le déçoit, mais si un jour ses enfants décident d’émigrer, il ne leur interdira pas de faire ce qu’ils veulent.

Pour lui,

Le Liban « paye le prix de sa beauté ».

Egalité homme-femme dans le monde arabe

S’il peut ne pas être connu pour ses interviews, ses émissions, ou son passé, ce romantique défenseur des droits des femmes est certainement connu comme « Le poète qui a décrit la femme dans tous ses états » c’est ce que dit Shawqi Abu Shaqra, dont notre invité a parlé longuement.  Il s’agit de l’un des collègues de Wehbe, considéré par ce dernier comme le « maître », la personne qui l’a le plus soutenu dans sa carrière. Il a ainsi décrit la femme: enceinte, atteinte du cancer du sein, jeune, vieille, contente, malheureuse…

Pour lui, les femmes libanaises, même si elles sont dans une situation bien meilleure que les autres femmes du monde arabe, n’ont pas encore atteint leur libération complète. Il plaide encore pour un changement législatif de la part du parlement qui rende l’homme et la femme égaux aux yeux de la loi. Il fait appel à un système de mariage et de divorce qui ne suit pas une loi religieuse, mais suit plutôt un idéal d’égalité entre les deux genres.

Portrait écrit par: 

Ismail Takach, Chada Chahadi et Mouhamad Abou Zeid du Collège Soeurs Antonines Nabatieh

Dans le cadre du projet “Plumes engagées, la jeunesse libanaise s’exprime” porté par l’Institut français du Liban à l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en octobre 2024 en France, en partenariat avec L’Orient-Le Jour , l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba)YOMKOM, avec le soutien d’ALAMsuisse et ChangeLebanon!

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