Crédit photo: Académie libanaise des Beaux-Arts
Fondateur d’un site de consultation médicale numérique accessible dans toute la région, ce médecin originaire de Saida a fait de l’accès aux soins son cheval de bataille.
“Ne cherchez pas à devenir le prochain Mark Zuckerberg pour imaginer votre propre réseau social”. Ces mots tenus par un professeur lors d’un cours qui portait justement sur la “création d’un réseau social” ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Bien loin d’avoir cherché à confectionner une copie de Facebook, Hady Bsat a choisi de connecter les gens entre eux d’une façon non moins révolutionnaire : démocratiser l’accès aux soins dans le monde arabe grâce à DRAPP (acronyme de Docteur App), une application novatrice de consultation médicale.
Ce projet ambitieux est né, comme tous les autres, dans ce bureau situé près de Zeituna Bay, à Beyrouth, où Hady nous reçoit chaleureusement. Assis derrière son poste de travail, le quarantenaire à l’allure sportive expose fièrement sa collection de figurines à l’effigie de personnages de dessins animés qui envahissent son univers de travail. De quoi témoigner de son “âme d’enfant” qu’il dit avoir toujours conservé depuis qu’il a quitté les bancs du lycée Rafic Hariri de Saida, où il est né en 1979.
DRAPP compte 100 pays, 2000 médecins
DRAPP est bien plus qu’une simple application de rendez-vous. C’est un écosystème complet de santé à distance. Sans se lever de son canapé, le patient peut consulter un large éventail de professionnels qualifiés : médecins généralistes, spécialistes, psychologues… le tout à travers un “chat” permettant de recevoir directement des conseils avisés et une ordonnance si nécessaire. Un aspect pratique qui a séduit des patients issus de près d’une centaine de pays dans le monde et qui est aujourd’hui employé par plus de 2000 professionnels de santé originaires de nombreux États de la région. “Avec DRAPP, j’ai voulu permettre à la fois aux Libanais d’avoir accès aux meilleurs spécialistes possibles, y compris ceux en dehors du Liban, mais aussi de donner la possibilité aux Libanais de l’étranger de continuer à être suivis par des médecins basés ici”, explique-t-il.
Mais l’histoire de la fondation DRAPP ne s’arrête pas là. Hady, à travers son autre entreprise créée quelques années plus tôt, Promedz, spécialisée dans la logistique médicale, a pu se rendre compte de la réalité du quotidien des médecins et de leur niveau d’épuisement. DRAPP se veut donc être une solution pour eux aussi, en leur fournissant un canal de communication plus simple et efficace avec leurs patients, même en dehors des heures de consultation traditionnelles.
Pas facile de changer les habitudes
Cependant, Hady est lucide. L’innovation n’est pas un long fleuve tranquille. “Tout projet attire son lot de louanges et de critiques. Car il n’est pas facile de faire évoluer les mentalités et de sortir les gens de leurs habitudes”, confie-t-il. Y compris celles de sa mère, qui malgré un accès donné par son fils aux services de DRAPP, fut longtemps réticente à les employer, préférant continuer à se rendre physiquement chez son médecin traitant.
Mais il ne faut jamais dire jamais
“Au bout de trois ans, ma mère a fini par essayer l’application et elle a trouvé ça formidable. Depuis, elle l’utilise pour toutes ses consultations !”, se félicite Hady.
Malgré les nombreux obstacles auxquels il a dû faire face pour donner vie à ses nombreux projets, sa détermination est restée inébranlable. Poussé vers la médecine par son père, Hady a pourtant toujours eu une aversion pour les visites chez le médecin qu’il redoutait plus que tout. Files d’attente interminables, examens invasifs, manque de confiance dans les diagnostics uniques… sans parler de sa peur extrême des IRM. Un malaise dans les cabinets qu’il pouvait ressentir également sur les bancs de l’école puis du lycée Hariri de Saida.
Avec ses lunettes en amande, Hady donne l’impression d’avoir toujours été un exemple de sérieux. Cependant, il fut loin d’être le premier de la classe. “J’ai longtemps réussi à avoir de bonnes notes sans trop faire d’efforts grâce à mes facilités. Mais à partir de la seconde, cela n’était plus possible et j’ai eu de gros problèmes avec mes professeurs. J’ai commencé à croire qu’étudier n’avait pas d’importance”, se remémore-t-il.
J’ai appris de mes erreurs
Sa relation tumultueuse avec l’école était d’autant plus grande lorsqu’il s’agissait d’assister au cours de français, qu’il jugeait “absolument inutiles”, surtout au moment où il a entamé ses études universitaires en anglais à l’American University (AUB) à Beyrouth. Mais l’ironie du sort a fait que ce fut pourtant la langue de Molière qui lui permit de trouver sa première opportunité d’emploi au Maroc, uniquement parce que son CV mentionnait ses études en français. “Je n’arrivais pas à y croire, sourit Hady. Cela m’a fait apprendre de mes erreurs et aidé à comprendre que le travail acharné est la qualité la plus importante, peu importe votre talent”.
Du talent, il en a aussi pour l’écriture, une activité à laquelle il aime s’adonner pendant son temps libre.
« J’écris depuis que j’ai appris à le faire à l’école. Cela m’aide à extérioriser ce qui se passe dans ma tête et pour me comprendre moi-même justement », décrit-il.
Des pensées qu’il pose sur son propre site « hadybsat.com » où il publie ses réflexions et les lit avec une voix remplie de sentiments et d’affection. Travail, politique, amour, famille… tous les sujets y sont abordés. Y compris la guerre : « C’est un traumatisme majeur pour tous les Libanais. Nous sommes une génération née dans la cruauté et cela m’affecte toujours aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai toujours voulu que mes enfants ne vivent pas ce que j’ai vécu », confie-t-il, à propos de sa famille qui réside en Égypte.
Pour gérer ses problèmes de santé mentale, qu’il aborde sans gêne, Hady a eu recours aux services d’une psychologue, mais aussi à ceux du sport. « Je fais de mon mieux pour le pratiquer le matin au moins quatre fois par semaine et de méditer lors du peu de temps libre que j’ai, où je ne suis pas occupé à gérer mes entreprises et à chercher de nouvelles idées.” Peut-être que le nom de Hady Bsat n’est pas encore largement reconnu, mais le Liban a toujours été témoin de ses réalisations remarquables. Animé par un esprit lumineux, sa détermination n’a jamais été ébranlée par les obstacles qui se sont dressés face à lui. « J’ai l’ambition d’étendre DRAPP à encore plus de pays. J’aime aider, j’aime changer, j’ai toujours été ainsi », conclut-il.
Portrait écrit par:
Rayane CHEBBO, Karim BAGHDADI et Shaden DALIBALTA du Lycée Rafic Hariri:
Dans le cadre du projet “Plumes engagées, la jeunesse libanaise s’exprime” porté par l’Institut français du Liban à l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en octobre 2024 en France, en partenariat avec L’Orient-Le Jour , l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba), YOMKOM, avec le soutien d’ALAMsuisse et ChangeLebanon!
Lisez aussi dans la même série :
Souad Merrah,une directrice engagée pour l’inclusion scolaire
Commentaires (0)