Portraits Libanais

« À travers les ténèbres, la lumière intérieure de Ghassan Hanna »

Crédit photo: Céline Bou Rjeily de l’Académie libanaise des Beaux-Arts

Devenu aveugle, le professeur de philosophie a trouvé la lumière intérieure qui l’a guidé vers des réalisations extraordinaires. Son parcours témoigne de la force de la volonté humaine.

“Il faut fleurir où Dieu nous plante.” Cette maxime résonne dans l’esprit du docteur Ghassan Hanna, 52 ans, un professeur universitaire à l’Université La Sagesse (ULS) dont la vision dépasse les limites de la vue physique. Nichés au cœur d’une humble demeure à Achrafieh, à Beyrouth, Dr. Hanna et son assistante accueillent chaleureusement quiconque franchit le seuil de leur foyer. La maison, empreinte de toutes les couleurs, respire la sérénité et l’amour, reflétant la paix intérieure qui guide ce guerrier dans sa vie. Avec une sympathie naturelle, il partage son histoire, révélant comment sa cécité, loin d’être un fardeau, est devenue une source de motivation.

Originaire d’une famille modeste et croyante, Dr. Hanna, surnommé “le fils d’Ach”, a enraciné ses souvenirs les plus précieux dans les ruelles de sa ville natale. Jeune prodige de sa classe, son avenir semblait tout tracé, jusqu’au jour de ses 9 ans où le verdict implacable de la cécité a bouleversé son existence. Atteint par une maladie incurable de la rétine, l’homme s’est vu peu à peu perdre la vue. Choqué par le diagnostic, il a d’abord traversé une période de déni. « À cet instant, j’étais persuadé que ma vie était fichue », dit-il. Mais miraculeusement il a trouvé en cette épreuve un catalyseur pour son développement personnel.

Malédiction ou Miracle ?

« Je ne serais pas l’homme que je suis aujourd’hui, si je n’avais le passé », avoue le quinquagénaire . Malgré la perte de vue, Dr. Hanna a accompli des prouesses académiques remarquables, accumulant sept masters, onze diplômes et un doctorat. Passionné de lecture, Dr.Hanna se lance dans l’écriture pour partager ses idéologies. En 2015, il publie son premier livre intitulé « Le Liban est un message », titre  inspiré par une célèbre phrase du pape Jean-Paul II qu’il idolâtre, révélant par ailleurs sa profonde admiration pour le rôle des femmes dans la société.

Dans une autre œuvre publiée en 2016, intitulée « La paix dans le monde », l’écrivain aborde le thème de la paix qui est un sujet délicat pour lui. Il explique : « Sur terre vivent 8 milliards d’individus. À l’exception d’un seul, ils revendiquent tous la paix. Cet individu, quoique seul à s’opposer à la masse, est capable de perturber, de déstabiliser voire de démantibuler. » Pour lui, les citoyens devraient être prêts à se battre pour la paix. Mais avant d’œuvrer à une entreprise collective, l’homme insiste sur l’importance de la volonté individuelle « Si nous voulons parvenir un jour à changer le monde, il faut commencer par soi-même. Il faut avoir la volonté de changer car, la volonté est contagieuse”, dit-il. “Si vous prenez l’initiative, les autres vous suivront.”

Ghassan Hanna répond à toutes nos questions avec le sourire

Ghassan Hanna répond à toutes nos questions avec le sourire

Prof un peu spécial

L’homme aime appliquer cet adage dans sa salle de classe. Malgré sa cécité, le professeur de philosophie moderne affirme que sa relation avec ses élèves n’a jamais été un problème, ni même une source de malaise. Selon lui, dès le premier contact, en 2014, première année d’enseignement, son audience a immédiatement saisi la situation et ne le considère absolument pas différent des autres professeurs. D’ailleurs, ses élèves l’adorent, ce qui, comme il le dit lui-même, renforce encore plus cette dynamique harmonieuse et spéciale dans sa salle de cours :

« Mes élèves m’ont donné davantage de motivation et la résistance de ne jamais lâcher. »

Être optimiste et pouvoir faire de son handicap une force n’a pas toujours été facile pour Dr Ghassan Hanna. Résolument croyant, le professeur insiste sur l’importance de sa foi dans l’acceptation de son handicap. À travers les prières et sa foi en Dieu, il trouve sa voie, et comprend que non seulement son handicap est une force, mais que c’est aussi un “cadeau de Dieu” : « En me rendant aveugle, Dieu m’a offert un cadeau, sans ça je serai peut-être un être égaré». Pendant ces années, il a donné sa vie à Dieu, priant intensément chaque jour : le matin, avec une prière fervente, cherchant guidance et force, et le soir se recueillant en gratitude et méditation. Au fil des années, l’homme émérite et expérimenté réalise que sa seule motivation est de changer le monde sans le voir, de pouvoir faire de ce monde, et spécialement de son Liban bien-aimé, un endroit magique, de faire de ce Liban quelque chose de merveilleux. Et c’est pour cette raison qu’il a fondé en 2019, une association appelée Phoenix. Cette association vise à aider les jeunes à réaliser leur potentiel et à résoudre les divers problèmes auxquels le Liban est confronté, en œuvrant pour un avenir meilleur pour tous les Libanais.

“Tomber n’est pas honteux”

Dans le regard bienveillant de son assistante, Dr. Hanna est décrit comme un “ange”, une “âme empreinte de profonde bonté, de foi inébranlable et d’optimisme contagieux”. Interviewée, son assistante exprime combien il a transformé sa vie. « Si je ne l’avais pas rencontré, je serais aujourd’hui en train de vivre une vie misérable. Il a changé ma perception de la vie et, grâce à lui, j’ai trouvé la foi et l’équanimité. » Toujours à ses côtés depuis 2009, elle témoigne de l’impact immense de Dr Hanna, non seulement en tant que professeur, mais aussi en tant que mentor et source d’inspiration aux jeunes et à toutes personnes l’ayant fréquenté. Sa philosophie ? « Si on porte la croix, elle nous portera mais si on la traîne, elle nous écrasera. » Durant son parcours, de nombreuses personnes ont tenté de nuire à sa carrière, de lui mettre des bâtons dans les roues. Mais il a toujours continué de prier et d’espérer, et tous ses problèmes se sont dissipés de cette façon.

Dr Hanna a accompli toutes ces tâches en étant aveugle. Son handicap l’a poussé à donner le meilleur de lui-même, en le transformant en source de motivation. « J’aimerais dire à toutes les personnes ayant un handicap et voulant poursuivre leur carrière : ne baissez jamais les bras. Quels que soient les défis que vous rencontrerez, utilisez-les comme une source de motivation », scande-t-il désormais, en ajoutant : « Tomber n’est pas honteux, ce qui l’est, c’est de ne pas se relever. » En dépit des obstacles, ce mentor demeure un phare d’espoir et de courage, rappelant à chacun que dans l’obscurité, il existe toujours une lumière à suivre.

Portrait écrit par: 

Wadih Khadra, Yasmina Nakhle et Rita Touma du College Des Soeurs Du Rosaire Blat-Jbeil

Dans le cadre du projet “Plumes engagées, la jeunesse libanaise s’exprime” porté par l’Institut français du Liban à l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en octobre 2024 en France, en partenariat avec L’Orient-Le Jour , l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba)YOMKOM, avec le soutien d’ALAMsuisse et ChangeLebanon!

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Mansour Bared : Au nom de l’histoire

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