La loi de Murphy, développée par Edward A. Murphy Jr, ingénieur aérospatial américain est un adage qui s’énonce de la manière suivante :
« Tout ce qui est susceptible d’aller mal, ira mal. »
Une autre version du même adage indique que s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera nécessairement quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie.
La loi de Murphy érige en loi le pessimisme. Il y a deux manières de l’interpréter : la première est évidement humoristique parce qu’elle repose sur une conception catastrophiste bien vague et infondée. L’autre vision qu’on pourrait en avoir en est une de projection : on ne considère pas cette loi comme vraie mais on conçoit tout système comme si elle l’était.
En partant de ce principe, il est facile d’appliquer cette loi à certaines périodes de l’histoire, notamment au Liban. En effet, c’est comme si cette loi c’était emparé du pays d’une façon constante et tacite. Une sorte d’entité invisible s’est formée de façon à ce que les actes et les événements prennent une tournure négative d’un angle ou d’un autre.
Depuis quelques décennies on a pu voir que la cohabitation entre plusieurs cultures n’a pas toujours été facile, la formation de milices armées est apparue, l’économie s’est effritée petit à petit, il y a eu des tentatives perpétuelles de diviser le peuple, des entités extérieures au Liban ont posé leurs marques, nous avons assisté à une crise de déchets, la corruption s’est répandue…Les exemples sont infinis.
Plus récemment, le pays a été ravagé par une série d’incendies inédits et apocalyptique. Y voir la loi de Murphy est peut-être naïf mais applicable.
Sauf qu’il y a 20 jours exactement, le Liban a brisé toute constante du système d’une façon aussi inattendue que magistrale. Le peuple s’est levé, réveillé, révolté, mais surtout il s’est uni. Une rupture inespérée entre le peuple et ses dirigeants a eu lieu. Un ras-le-bol total envers la corruption qui suinte, du sectarisme malsain, du niveau de vie qui s’abaisse à vue d’œil et de la dérive du pays à tous les niveaux.
C’est cette accumulation trop subite qui a mené au soulèvement. De l’abandon et de l’incapacité du gouvernement face à un feu qui a dévoré le peu de choses qui restait au gens et de maintes et maintes taxes qui n’ont pour but que de sucer les dernières gouttes de sang des Libanais. Alors que tout le monde pensait qu’on allait encore subir sans réagir, le vase à ras bord a enfin débordé.
Les demandes sont nombreuses mais résumables pour les premières étapes :
. Démission du gouvernement
. Formation d’une équipe transitoire hors partis politiques
. Levée des immunités
. Nouvelle élection anticipée
. Activer un tribunal spécial en charge des dossiers de corruption
Après 13 jours de résistance la première étape fut enfin écoutée et lancée. Le Premier ministre a démissionné et entraînera avec lui les autres ministères. Auparavant, certains politiciens du gouvernement ont enlevé leurs secrets bancaires mais la tactique était prévisible.
Entre temps on a connu quelques débordements : citons des gardes du corps de ministres qui ont ouvert le feu, des essais de récupération par certains partis et des menaces de leur part plus ou moins cachées et extrémistes. Deux personnes sont décédées, des dizaines sont blessées et certaines régions subissent plus de pression que d’autre.
Est-ce la loi de Murphy qui plane encore et toujours ? Le Liban est-t-il réellement condamné à la subir éternellement ? S’il n’y avait eu que ses événements, la réponse aurait surement été « oui » ; mais ce n’est pas tout à fait le cas !
Ce 16 octobre, dès le premier jour de ce qu’on croyait être un mouvement populaire qui s’est avéré être une révolution pacifique, on a senti un changement profond. Pas un changement matériel, ni superficiel, mais un changement de conscience aigu électrisant comme s’il a toujours été enfoui quelque part en nous et attendait son réveil.
Le cœur des libanais a commencé à battre à l’unisson, et ce, peut-importe où ils étaient. Ils sont devenus Libanais avant d’être une religion, un groupe ou un parti. On n’a plus vu de pluriel cette nuit-là, juste un singulier qui a formé une grande famille. Le lendemain, en moins de 24h on a tous su que cette fois ça n’allait plus être comme avant et les jours n’ont fait que confirmer ce sentiment.
La mobilisation était démentielle. Jeunes, adultes, familles et personnes âgées. Aux quatre coins du globe les libanais se sont manifestés. Des centaines, puis des milliers, pour finir par des millions de personnes sont descendu lutter pacifiquement à cor et à cri au nom de ce pays qu’ils aiment tant. Dans le but d’avoir un avenir meilleur, en construire un pour leurs enfants et les voir grandir en étant fière de dire qu’ils sont originaires du Cèdre qui a su se rebeller d’une même voix.
Une entraide démesurée a eu lieu, on a vu des gens tout donner même ce qu’ils n’ont pas. Solidarité, volonté, persévérance et organisation étaient les maîtres-mots. On a vu des gens nettoyer au petit matin les rues, puis trier et recycler. Des gens venir les bras pleins de nourriture. Des entreprises et commerces qui distribuaient tout ce qu’ils pouvaient.
On a vu des hommes tiraillés entre vouloir et devoir, des villes unies qui dans notre vieil imaginaire ne l’auraient jamais été. On a vu le courage d’une femme contre une arme qui a été trop de fois pointée. On a vu des soldats pleurer, obligés d’être en face de ces cœurs ardents alors qu’ils auraient tellement voulu les rejoindre et les enlacer. On a vu des enfants prendre conscience de ce qu’était une démocratie et de l’importance de se battre pour celle-ci.
Des gens se relever et venir encore plus nombreux après des essais de déstabilisation plus ou moins violents de la part de tierces forces malintentionnées. Car oui, malgré tous les bâtons qu’on a essayé de mettre dans les roues de ce mouvement il a su garder sa grandeur. Il n’a pas répondu à la violence par la violence, mais y a répondu avec panache en ayant encore plus de volonté à chaque fois.
Il y a eu des chants, des danses, des pleurs de bonheur et de rires. Des villes bouillonnées de monde et d’amour. On a enfin vu ces rues et ces centres-villes si longtemps déserts se remplir de joie comme ils auraient dû l’être au quotidien. On a vu tout le monde arborer fièrement le drapeau libanais, que ce soit dans les mains ou sur les voitures, les façades, les bâtiments, les vêtements et sur la peau. Il est présent partout pour montrer à quel point la fierté de le brandir est forte. Cette fierté qu’on nous avait fait oublier pendant trop d’années a coup de divisions et de coups bas.
Ce jour-là, un peuple est né.
On était si habitué à chuter qu’on pensait la fatalité inévitable. Mais pourtant, notre terre avait pris feu il y a quelques jours et maintenant c’était à notre cœur de s’enflammer.
Cette révolution a un gout d’indépendance inédite. N’est-ce pas cela une vraie indépendance ? Se dépêtrer de la corruption, des mensonges et des choix assassins qu’on nous a imposés pendant des décennies ? Bien sûr, un changement si majeur ne se produit pas en un claquement de doigt. Personne ne sait comment ça va finir, si toutes les demandes aboutiront ou non. Mais une chose est sure, le cœur des libanais bat comme il ne l’a jamais fait auparavant.
Peut-être est-t-on entrain de vivre une de nos plus grandes victoires ?
Gibran Khalil Gibran disait : « Nous sommes comme des noix, nous devons être brisés pour être découverts. » Les Libanais ont craquelé pendant de trop nombreuses années pour qu’au final jaillisse ce qu’on pensait impensable et qu’on brise ce mur invisible qu’on pensait incassable.
On ne laissera plus Murphy nous y prendre. Ce qu’on vit actuellement restera marqué dans l’histoire et dans nos cœurs. On baissera les bras que pour tenir celui de notre voisin et les relever à deux, encore plus haut et encore plus fort.
Rien n’est encore fini, tout est encore à gagner. Restez unis, restez fiers, restez joyeux. En bref, restez Libanais.
Photo par @Toroxxman sur Twitter.
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