Portraits Libanais

Samih Iskandar: « Quarante années dans l’enseignement du français »

Crédit photo: Chloe Khoury Hanna de l’Académie libanaise des Beaux-Arts

« L’homme de la double culture est un pont, c’est non seulement quelqu’un qui relie et conjoint ses deux exils, mais quelqu’un qui permet aux autres de passer : par le passage qu’il est devenu lui-même, lui-même transformé justement en passeur-médiateur ». Salah Stétié (1997)

 Monsieur Samih Iskandar, âgé de 77 ans, est un ancien professeur de français originaire du village de Koucha, dans la région du Akkar. Cet homme aimable, qui a conservé l’accent et les tics d’un professeur de français, nous a accueillies chaleureusement dans sa belle demeure, illustrant l’hospitalité et la générosité des Libanais.

M.Iskandar nous a raconté comment il a consacré 40 années de sa carrière à l’enseignement dans notre région, tout en précisant avec modestie :

Je ne prétends pas avoir été le meilleur, mais j’ai toujours donné le meilleur de moi-même.

Cet homme, empli de grâce et de sagesse, nous a éclairées sur une époque antérieure de notre province à travers le récit de son parcours de vie. « J’aime la vie, j’aime les amis, j’ai passé des moments très intéressants car on ne peut pas vivre dans un coin, on vivait ensemble », a-t-il confié.

Ses souvenirs d’enfance nous ont transportées dans une époque où la vie était difficile et complexe. Issu d’une famille relativement pauvre, son père était maire et savait lire et écrire l’arabe, mais sa mère était analphabète. A l’école officielle de « Khraybet el Jundi », ses journées d’école commençaient à 7 heures du matin et se terminaient à 16 heures. Pour s’y rendre, il marchait pendant 30 minutes et devait traverser une rivière, même par temps de pluie. L’école était mal équipée, sans eau potable, sans électricité et avec des bancs en mauvais état. Pour poursuivre ses études le soir, il était responsable d’apporter une lanterne en classe. Cependant malgré les conditions difficiles, il a développé un amour pour l’apprentissage, aidé par l’affection de ses professeurs et de ses camarades.

« Pour moi, la littérature française est une manière de vivre, d’acquérir des savoirs et des savoir-faire », a-t-il expliqué.

 

Le parcours formateur de M. Iskandar

Après avoir obtenu son baccalauréat, il est devenu étudiant à l’École Normale de Tripoli où il a suivi une formation de trois ans pour devenir enseignant de toutes les matières. Par la suite, il est entré dans l’enseignement public au Liban, débutant sa carrière à « Mazraat Baldi », où il enseignait tous les niveaux et toutes les disciplines, en raison du manque de professeurs à cette époque.

Cependant, cette période d’enseignement n’a duré que trois mois car il a été choisi parmi 33 élèves par les Français (qui supervisaient les écoles auparavant) pour suivre une formation intensive en langue française à Tripoli pendant six mois.

Son rêve et son enthousiasme ne s’arrêtaient pas là. M. Samih a commencé ses études supérieures en langue et littérature françaises à l’Université Libanaise de Beyrouth (pour achever quelques matières), où il se rendait en voiture après avoir longtemps marché à pied depuis son enfance. À cette époque, il était rare que les gens s’inscrivent à l’université ou même qu’ils terminent leurs études secondaires, surtout dans la région où il vivait. Il a ensuite poursuivi ses études à l’Université Libanaise de Tripoli et a obtenu une licence en langue française après cinq ans.

Par la suite, il a de nouveau été sélectionné par les Français pour suivre des formations en France pendant six mois : la première en 1974 et la deuxième en 1998. Ces séjours en France avec des collègues lui ont permis d’améliorer sa maîtrise de la langue et sa prononciation et d’apprendre aussi des méthodes pédagogiques avancées. Ces formations lui ont également offert l’opportunité de se familiariser avec la culture et la littérature françaises de manière plus approfondie. Grâce à ses efforts acharnés et à ces nouvelles compétences, son français est devenu élégant et raffiné. En appliquant ces méthodes d’enseignement innovantes, il a grandement contribué à l’amélioration de la qualité de l’enseignement de la langue française dans sa région.

De retour, le projet inlassable a commencé : Propager l’amour de cette langue et partager avec les élèves, et pourquoi pas avec les enseignants, le plaisir et l’atout de maîtriser une langue seconde.

En effet, Il insistait sur le statut de « langue seconde ». L’expression « langue étrangère » aurait pu installer un mur. Mais lui était résolu à faire la différence et à construire des ponts.

Samih Iskandar répond à toutes nos questions avec le sourire

Sa passion pour cette langue ne l’a jamais abandonné

Dès lors, M. Samih a été sollicité par de nombreux directeurs d’établissements scolaires pour enseigner le français ( L’Ecole Nationale Orthodoxe- Ecole Al Safaa- Ecole de de Khraybet el Jundi- Merehbi International school- Lycée al hamedieh al Islamiah……).  Il a dispensé ses connaissances près de 40 ans. Ainsi, son rôle ne se limitait pas seulement à l’enseignement dans les écoles ; mais il était également coordinateur dans certaines d’entre elles, suivant de près les professeurs. De plus, Il est également important de mentionner son rôle majeur dans la formation des enseignants de la langue française à l’École Normale de Halba, Akkar ».

Durant cette carrière, il a aidé de nombreux collègues à briller et à perfectionner leurs compétences pédagogiques. Son amour profond et authentique de la langue française était tout simplement contagieux.

« Je n’ai jamais rêvé d’un autre poste. J’ai vécu quelque chose d’extraordinaire, j’avais les clés d’un monde caché que j’ai eu le privilège de partager avec mes élèves. J’étais heureux d’en révéler les secrets et d’être une source d’inspiration pour ceux que j’ai eu la chance d’enseigner », s’est-il exprimé avec émotion.

En effet, sans passion, rien n’est vraiment possible dans la vie.

Aujourd’hui, M. Samih fait une retraite paisible, dans son jardin et au gré de ses lectures, entouré de nombreux souvenirs d’aventures passionnées. Il partage cette étape de sa vie avec son épouse, Mme Majida, à ses côtés depuis plus de 40 ans. Majida, qui fut autrefois son élève, l’a toujours soutenu, notamment lors de sa maladie en 2023.

En repensant à sa carrière, il est évident que  M. Samih a joué un rôle crucial en tant qu’éducateur dans la région d’Akkar, souvent confrontée à des défis socio-économiques considérables. Les conditions de vie difficiles et la pauvreté omniprésente rendaient l’accès à une éducation de qualité rare et précieuse. En tant que fils et père, M. Samih a fait d’innombrables sacrifices pour poursuivre ses études et son engagement dans l’enseignement. Non seulement il a surmonté les obstacles personnels, mais il a aussi apporté des méthodes pédagogiques innovantes et une maîtrise raffinée de la langue française. Grâce à son dévouement inébranlable, il a réussi à élever le niveau de l’enseignement dans cette région défavorisée. Sa persévérance a offert aux jeunes d’Akkar des perspectives nouvelles et des aspirations élevées.

Par ailleurs, pendant les années de guerre et de difficultés, enseigner sans relâche le français dans une région presque entièrement non-francophone relevait d’un défi considérable. Cependant, c’était aussi une arme pour combattre le désespoir et rêver d’un monde « différent, distingué, supérieur à la réalité ».

Témoignages :

Notre rencontre avec Monsieur Samih nous a menées à l’une de ses anciennes élèves, qui est désormais elle-même enseignante de français. Inspirée par son ancien professeur, elle a partagé ce témoignage avec nous, De plus, un directeur d’école a également exprimé son admiration pour l’impact de Monsieur Samih sur la communauté éducative. » :

1-« Elle est à toi cette chanson. Toi l’auvergnat qui sans façon m’a donné quelque bout de bois quand dans mon cœur il faisait froid… »  Si la chanson de Brassens résonne encore dans ma tête trente ans après, c’est que je l’ai découverte pour la première fois élève en classe de 6ème. J’en ai été tellement éprise que j’ai passé la nuit à la répéter, dans l’impatience de la chanter le lendemain devant mes amis et de faire une bonne impression sur mon premier professeur de français.

« Vous devez lire dix fois votre texte de lecture pour améliorer votre prononciation, Vous vous arrêterez aux points. Vous respecterez l’intonation… » Les conseils de notre professeur défilent et je les suis à la lettre : le soir, je m’isole pour fredonner mes textes de lecture jusqu’à m’imprégner des lignes qui oscillent à la lueur timide de la bougie… Je m’accorde à leur cadence et me laisse emporter dans mes évasions qui me mènent au-delà des frontières de mon petit village monotone, comme une Alice au pays des mots.Je ferme les yeux pour voir les lettres sautiller de la phrase et reconstruire mes rêves.

L’auvergnat, dans la chanson de Brassens c’était toi… et les bouts de bois, des bouts de mots qui m’ont réchauffé l’âme pour toujours et m’ont appris qu’une langue seconde pouvait être un refuge,‘’un rêve familier’’ quand tout semble s’ébranler autour de nous.            

2- Une personne d’exception dont les qualités d’honnêteté, de dévouement et de respect envers ses collègues étaient inégalées.

M.Samih Iskandar a été un pilier de la langue française, non seulement dans notre école, mais dans toute la région du Akkar,dans une région où la flamme de la langue française était encore vacillante.

M.Iskandar n’a jamais hésité à être une favorable liaison entre notre école et le centre culturel français de Tripoli, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives enrichissantes pour tous.

M.Iskandar a incarné pendant de longues années, les qualités d’un enseignant exceptionnel: Son dévouement inébranlable envers ses élèves, sa passion sans borne pour L’Education et la langue française, son empathie naturelle et son sens de l’humour .

« Cher Monsieur, nous vous remercions du fond du coeur pour votre contribution au progrès de notre école.

Que du bonheur dans ta vie et ta retraite bien méritée. »

Directeur de l’Ecole Nationale Orthodoxe du Akkar, Nidal Tohmé.

Portrait écrit par: 

 Sara-Joe El ward, Maria Al Lati et Léa Estephan du Lycée Abdallah Rassi (Akkar)

Dans le cadre du projet “Plumes engagées, la jeunesse libanaise s’exprime” porté par l’Institut français du Liban à l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en octobre 2024 en France, en partenariat avec L’Orient-Le Jour , l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba)YOMKOM, avec le soutien d’ALAMsuisse et ChangeLebanon!

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