Crédit photo: Prisca Akiki de l’Académie libanaise des Beaux-Arts
Mansour Bared revêt les habits du patriote dans l’espoir de rendre à l’Histoire sa place et de rétablir foi en la Patrie. Sa voix a un pouvoir étrange sur les mots. C’est sa voix et ses valeurs que nous tenterons de vous faire parvenir, son instrument de paix et de savoir.
Dans le brouhaha ambiant de la classe, s’élève la voix, lourde de sévérité. Le silence se fait. « Qui peut me dire quelle est la capitale du Vietnam ? », la voix gronda. Honteux, les élèves se regardent. Tous sauf un, le doigt levé, il répond avec courage : « Hanoï Monsieur ». Le professeur, pris de court, reprend d’un ton impératif. « Tu l’as lu. C’était écrit dans ton livre. » Tant bien que mal, l’élève se défend mais en vain. Le professeur reste placide. Il ne sait guère que derrière cette réponse, se dissimulait une passion, une envie dévorante de s’instruire, de repousser ses limites, un élève brillant doté de qualités humaines. En un mot, il s’agit de Mansour Bared.
Dans un monde où l’Histoire semble avoir perdu son statut d’antan, il est une exception. « Je rêve de changer la façon dont les jeunes perçoivent l’Histoire et partager ma passion avec le monde » , raconte-t-il aujourd’hui, âgé de 31 ans. C’est dans ces mots que se cache l’ambition engagée, d’un enseignant, d’un historien et surtout d’un patriote. Mais pour le comprendre, on doit remonter loin, et découvrir la muse de sa vie : l’Histoire.
Nous sommes en 2001 : Mansour n’est qu’un enfant lambda, rythmé par l’innocence et la curiosité. Le 11 septembre, le monde entier est frappé d’effroi devant les attentats contre les « World Trade Center » de New York. Devant les postes de télévision, indifférent à l’agitation ambiante, tout se chamboule dans l’esprit du jeune Mansour. Les questions fusent, les réponses manquent, l’intérêt grandit. Qui sont les attaquants ? C’est où l’Afghanistan ? Qu’est-ce que les terroristes ? Pourquoi ont-ils agi ainsi ? Dans cette confusion, naitra chez lui une passion qui le suivra toute sa vie. Cet attrait pour l’information et sa compréhension le pousseront dès son plus jeune âge à se documenter. De l’audiovisuel aux journaux, rien ne lui échappe. Élève discipliné, il met à bon escient son colossal savoir, profitant de sa réputation de « google » de la classe auprès de ses camarades. C’est dans ces instants presque primordiaux que le futur de Mansour nait réellement. L’enfance n’est qu’un instant épars mais qui l’a pourtant impacté, vous le verrez, pour le meilleur et pour le pire. Comme il le dit si bien : « L’enfance laisse des traces beaucoup plus marquantes que l’âge adulte. »
Le passeur d’histoire
Devenu historien, Mansour épouse son rôle à merveille. Fier de son palmarès, un master puis une thèse, il avance avec confiance dans le monde professionnel pour débarquer dans l’enseignement. De nature modeste, c’est auprès des élèves qu’a eu lieu sa première audience où il inculque ses principes de patriotisme. Mais comment en est-il arrivé là ? Un parcours miraculeux ? Un hasard ? Ou simplement, un passionné qui a su tirer son épingle du jeu, de par ses valeurs et son dévouement ?
Mansour a grandi dans le Liban des années 2000, une période où le peuple, comme l’État, venait de sortir d’une meurtrière guerre civile, et qui continuait de supporter une occupation syrienne toujours plus pesante. Il est clair que, mis à part sa petite enfance, Mansour ne porte pas de regard nostalgique du « bon vieux temps ». Une innocence laissant d’ailleurs place à une période sombre, baignée par de multiples crises personnelles et familiales. Mais après la pluie vient le beau temps : Mansour s’épanouit au fil des années. Il s’intéresse à la formule 1, au basket et à la géopolitique, n’oubliant tout de même pas le lien phare avec l’histoire. C’est également durant ce renouveau que son patriotisme et son dévouement pour la cause libanaise rencontrent un tournant. C’est décidé, ce sera le Liban ou rien. Un patriote, Mansour dans une certaine mesure l’a toujours été. Il se remémore sur les bancs de l’école, un émerveillement devant l’équipe de basket « Sagesse » qui remportait le championnat. En effet, le patriotisme peut prendre de nombreuses formes, se manifester de multiples façons, que ce soit par le sport, la politique, ou encore la culture. Plus qu’un concept, le patriotisme est une philosophie, une foi. « L’amour de la patrie est en la foi », cite-t-il, en s’appuyant sur un extrait d’un article de presse, publié dans Al-Jinane. Doté de son patriotisme, Mansour s’est construit une image du Liban. Un Liban fort et souverain, un Liban indépendant, épris de sa culture mais moderne et visionnaire. Une idée indissociable de son penseur, l’idée d’un État fort et uni, où les ethnies, les religions, les opinions cohabitent en parfaite symbiose, l’un complétant l’autre sans jamais le dominer. Voilà le Liban utopique selon Mansour, un Liban qui aurait toujours dû exister…
L’éveil d’un patriote
Guerre d’Irak, Palestine occupée, conflit syrien ou encore printemps arabe, tant de termes, tous plus intimidants les uns que les autres. Pour Mansour, ils n’ont aucun secret. Expert de l’époque contemporaine touchant au Moyen-Orient, pour lui, l’Histoire n’est point un voile obscur où des dates fastidieuses et de nombreux personnages se croisent. C’est la toile peinte par l’Homme. De ce tableau révélateur, morales et leçons, aux individus et aux nations entières sont offertes. « Le présent est le résultat d’un passé récent, duquel les peuples peuvent en tirer leçons », argue-t-il. Pour lui, il est donc indispensable que l’Histoire soit préservée. Le devoir de mémoire selon Mansour rime avec la conservation du passé. La noble cause de l’historien est donc de faire parvenir, avec objectivité le passé, d’offrir au monde sa concordance, son explication, d’apprendre à mieux le connaitre pour mieux l’utiliser. L’historien, émissaire du passé, son porte-parole, digne de transmettre notre héritage. Mansour ouvre des horizons, dévoile que l’historien est, en effet, « un explorateur de l’Histoire » en quête constante, se munissant des traces laissées par les anciennes civilisations. L’Histoire est faite par l’Homme pour l’Homme. Ainsi, de l’Homme, s’extraient le pays, la culture. De cette thèse, Mansour en est un fervent défenseur : « Le pays c’est l’entourage », déclare-t-il. C’est cette même perception qu’aborde Mansour en œuvrant sur une thèse confidentielle qu’il dévoilera prochainement sur un concept vieux comme le monde, diplomatie et force militaire, qui rythment notre civilisation depuis des millénaires. Le Liban n’est pas une exception, c’est en faisant allusion à la guerre civile que Mansour, effaré, nous confie : « Est-ce que ce carnage n’a pas changé la mentalité des Libanais ? Ne les a-t-il pas rendus plus responsables et plus conscients de la réalité de leurs pays ? ». Il explique que la cause principale de cette tragédie trouve ses racines dans la divergence entre les Libanais. Une divergence, qui paradoxalement, véhicule souvent la haine de l’autre. Une xénophobie au sein d’un même pays. Une triste situation, aggravée par le désastre humanitaire, se produit à nos frontières. Emu, il s’exprime : « Les atrocités d’aujourd’hui doivent s’arrêter pour des raisons en particulier humaines. »
« Je rêve d’un Liban, d’une Suisse d’Orient »
C’est d’un silence olympien, que surgit une voix, forte et assurée, venant aiguiser vingt-quatre paires d’oreilles, à présent captivées. C’est cette même voix, qui avait répondu deux décennies plus tôt, « Hanoï », à son enseignant. Et c’est encore cette même voix qui, aujourd’hui, muri par son voyage à travers les époques et les âges, a su dire non à l’oppression, oui à la souveraineté, engagée dans l’œuvre d’une vie, d’un peuple. La voix d’un patriote, la voix d’un enseignant, la voix d’un historien, la voix d’un Libanais. La voix de Mansour Bared.
« Au monde international, je lui souhaite la destruction de son racisme, son cancer qui le ronge depuis bien trop longtemps, le respect de son humain, l’acceptation de ses différends et la prospérité de sa civilisation », insiste le professeur.
Voilà le paroxysme de sa pensée, de sa philosophie : le respect inconditionnel de l’Homme, du genre humain, le cumul du patriotisme, de notre héritage et de nos vies. Mansour, sculpteur du monde idéal, le façonne, le taille, le soigne de ses cicatrices de par ses valeurs, son dévouement pour l’Homme, pour l’Humanité.
Être engagé, plus qu’un devoir, c’est pour lui une obligation, une dette devant une nation qui lui offrit son éducation, son patriotisme, ses droits. Une nation pour qui il continue à militer en sa faveur. Que de conférences données et d’articles publiés ! L’Histoire est sa plume, le Liban, son modèle. Modèle, qu’il espère, inspirera les dix-sept millions de Libanais, dont douze millions à l’étranger. C’est de par leur patriotisme, que la nation libanaise pourra subsister puis croître. « C’est dans chaque citoyen que se dissimule, le potentiel d’agir, de rendre honneur au Liban, à sa patrie. » Un espoir fortifié par l’héritage qui saura guider, forger et engager. Engagement, un mot décrivant à merveille, celui qui aura su promouvoir ce pour quoi il milite, un monde où l’Histoire est aimée, ayant retrouvé son statut d’antan.
Portrait écrit par:
Chlela Jeremie, Naim Georgio et Obeid Valentina avec l’aide de leur enseignante Gmayyel Rita (de gauche à droite) du Collège de la Sainte Famille française, Jounieh
Dans le cadre du projet “Plumes engagées, la jeunesse libanaise s’exprime” porté par l’Institut français du Liban à l’occasion du Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en octobre 2024 en France, en partenariat avec L’Orient-Le Jour , l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba), YOMKOM, avec le soutien d’ALAMsuisse et ChangeLebanon!
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