À l’occasion du Beirut Comic Art Festival/Beyrouth BD Festival, la rédaction de YomKom a rencontré la coloriste, scénariste et dessinatrice Brigitte Findakly. Née à Mossoul en 1959, d’une mère française et d’un père irakien, elle a grandi dans la seconde ville d’Irak jusqu’à ses 14 ans. A travers son ouvrage les Coquelicots d’Irak elle raconte son enfance, entremêlant l’histoire de son pays et la sienne. Une bande dessinée qui a permis à des milliers de personnes de découvrir l’Irak sous un autre jour. Découvrant des évènements tragiques, joyeux, parfois drôles, mais toujours sincères.
Pour débuter, quel est votre rapport à la bande dessinée, comment êtes-vous arrivée dans ce domaine ?
C’est arrivé par hasard, j’aimais bien dessiner mais jamais je n’aurais pensé m’inscrire dans une école d’art ou autre. À l’époque, je faisais des études universitaires de science économique. J’ai rencontré certaines personnes et certaines d’entre elles faisaient de la bande dessinée, je trouvais ça super ! En leur montrant mes dessins, l’un d’entre eux m’a demandé si j’étais intéressé pour colorier des bandes dessinées. J’ai accepté car ça m’amusait, sans penser au-delà.
Au début des années 80, j’ai donc commencé à colorier des bandes dessinées pour le journal Pif Gadget. J’ai appris mon métier de coloriste sur le tas. Et au bout de 6 mois j’avais tellement de travail qu’il fallait que je choisisse entre mes études et la bande dessinée. Sans hésiter j’ai laissé tomber mes études et je me suis lancée dans ce domaine.
Vous avez travaillé sur de nombreux ouvrages, mais deux en particulier sortent du lot. D’une part le chat du Rabbin, d’une autre les Coquelicots d’Irak. J’aimerais principalement revenir sur les Coquelicots d’Irak. Comment vous est venue l’envie de raconter votre histoire ?
Je suis née à Mossoul et j’y ai vécu jusqu’à mes 14 ans. Mes parents et moi avons quitté l’Irak en 1973, c’était mon père qui voulait quitter l’Irak car ça commençait à aller mal. Il souhaitait juste partir quelques années le temps que la situation s’améliore. Malheureusement, la situation en Irak n’a cessé de s’empirer, même si je pouvais y retourner de temps en temps pour voir ma famille. Puis les dernières années c’était devenu très compliqué, mais dans mon esprit il y avait toujours une possibilité que la situation s’améliore et que je puisse y retourner.
En 2014, quand Daesh est entré dans Mossoul, ça a été un tel choc pour moi. Il fallait que j’écrive mes souvenirs, car tout était en train d’être détruit et notamment ma ville natale. Donc ça s’est imposé à moi comme un impératif. En même temps, j’avais mon père qui commençait à être malade et à perdre la mémoire. Ce mélange d’événements a fait que cela s’est imposé à moi.
Une manière conserver votre mémoire et indirectement celle de l’Irak ?
Voilà, d’avoir à travers ma propre histoire celle de mon pays et plus particulièrement celle de Mossoul.
J’imagine que ça n’a pas été simple de raconter votre histoire, quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
La première difficulté c’est qu’au début j’ai essayé d’écrire toute seule. J’y mettais beaucoup trop d’affecte, c’était presque trop larmoyant, c’était trop brut. Heureusement, mon mari, Lewis Trondheim ,dessinateur, scénariste et éditeur de bandes dessinées, m’a proposé de m’aider. Il a su mettre en scène chaque anecdote, chaque chose que je racontais. Et sa façon de faire m’a plu, car les choses sont dites telles quelles, ce n’est pas romancé ou arrangé. Ce sont vraiment mes propres souvenirs ce que j’ai vu, entendu et ressenti.
Ensuite ce n’est pas forcément triste, les événements sont comme ils sont. Pour nous c’était normal, les coup d’Etat, le couvre-feu, …, je ne voyais pas ça comme quelque chose d’exceptionnel. Donc je raconte juste tout ce qui m’est arrivé là-bas et mon arrivée en France qui n’a pas toujours été simple non plus.
Il y a un aspect qui peut surprendre. Dans une histoire, qui est tragique, on retrouve de l’humour par moment. Pourquoi ce choix d’y inclure une part humoristique ?
En fait l’humour n’est pas inventé ou ajouté. C’est la réalité qui par moments était tellement absurde qu’elle en devenait humoristique. Par exemple, je raconte que ma mère a commandé un dictionnaire français, lorsqu’on l’a reçu on a tout de suite voulu regarder ce qui était écrit sur l’Irak, mais la page était déchirée. Elle était déchirée non pas car il y avait l’Irak mais parce qu’il y avait Israël sur la même page. Alors évidemment on peut en rire c’est complètement ridicule. De la même manière, lorsque mon père allait à Bagdad pour le travail, il parlait au téléphone avec ma mère en français. Durant les appels une personne de la censure parlait en même temps qu’eux, leur disant d’arrêter de parler en français. Donc même la censure ne se fait pas très discrète. {…} Ce sont des situations tellement absurdes qu’on en rit, mais ce n’est pas inventé, on n’a pas voulu faire de l’humour, c’est la situation qui était humoristique.
Vous n’êtes pas la seule à avoir écrit, réalisé une bande dessinée sur votre enfance au Moyen-Orient. C’est une région du monde que l’on connait bien et à la fois pas du tout. Ce type d’ouvrage peut souvent avoir pour effet de casser les clichés et idées reçues. Y a-t-il une volonté d’expliquer au public l’histoire de l’Irak à travers la vôtre ?
Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils avaient un peu découvert l’Irak. Je me suis rendu compte que ça les touchait, car c’est aussi une façon de montrer que l’Irak ce n’est pas seulement ce qu’on entend aux informations. Il y a quand même une population qui y vit au quotidien, ce n’est pas uniquement les guerres et coups d’état qu’il a pu y avoir. Il y a aussi beaucoup de français qui m’ont dit qu’ils avaient découvert ce pays-là. Également, j’ai rencontré des Irakiens qui étaient très contents, qui me disaient qu’il y avait enfin quelqu’un qui parle de l’Irak autrement que ce qu’on lit dans les journaux ou à la télévision. Je trouve que l’on découvre bien un pays à travers une personne ou un groupe de personnes.
Pour conclure cette interview j’aimerais revenir sur le festival. Quel a été votre ressenti au cours de l’événement ?
J’y ai trouvé une très bonne ambiance et les gens sont très contents, ils suivent beaucoup les différentes conférences et rencontres. Ça fait plaisir de voir beaucoup de monde et de voir des gens intéressés par tout ce qu’il y a. J’ai aussi fait des expositions, notamment de jeunes artistes libanais qui sont très prometteurs. Ça fait plaisir par rapport à toutes les difficultés que traverse actuellement le Liban. Je pense que la culture peut aider à tenir le coup et à garder espoir autant que possible.
Le festival s’est tenu à Beyrouth dans plusieurs lieux de la ville. Qu’avez-vous pensé de la capitale libanaise ?
Évidemment ça fend le cœur de voir toute la partie près du port, il y a encore beaucoup de choses tristement visibles. {…} Sinon ce que j’aime par-dessus tout c’est l’ambiance de Beyrouth, entendre les gens parler en Arabe et pouvoir le parler avec eux m’apporte beaucoup de bien. {…} Cela ne remplace pas le fait d’aller à Mossoul, mais ça me fait beaucoup de bien. C’est l’Orient qui me manque tant en France que je peux retrouver ici au Liban.
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